Depuis cinq ans, il photographie les boutiques Dior à travers la planète. Un rythme à 300 km/heure, entre palaces et boutiques de luxe, qui ne lui a pas fait oublier l’essentiel, l’humain.
De la découverte de soi à la rencontre des autres
« Ce que j’ai exploré dans la photographie artistique pendant dix ans, ce sont mes univers intérieurs. Même quand je faisais des images d’autres personnes, c’est moi que je cherchais. D’ailleurs, j’ai intitulé toutes mes expositions « De la quête de soi, à la quête du sens ». C’était pour moi fondamental de répondre aux questions, qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? J’ai trouvé un certain nombre de réponses qui m’ont permis de me construire et j’ai pu sortir de ce travail centro-centré d’introspection et me tourner vers les autres. Je réalise aujourd’hui que ce tournant vers la photo d’architecture pour Dior n’était pas anodin. Cela m’a permis de voyager et m’a projeté au contact des autres et finalement de renouer avec ce désir que j’avais au départ de me lancer dans une carrière de journaliste pour rencontrer des gens et voir à quoi ressemblait le monde. »
Un boulot de démerdard
« Depuis cinq ans, je photographie les créations et les rénovations des boutiques Dior à travers le monde. Pourquoi moi ? Pour la qualité de mes photos ? Certes. Mais je pense plutôt que ma valeur ajoutée se situe dans ma capacité d’anticipation. Je travaille souvent dans l’urgence, dans des pays où je me retrouve parachuté du jour au lendemain avec seulement une nuit pour shooter. Et il suffit que l’électricité se coupe, que la programmation des éclairages ne soit pas faite ou qu’il y ait un camion-grue garé devant la façade et c’est cuit ! Quand je suis rentré dans l’entreprise, c’est eux qui verrouillaient tout, comme d’ailleurs l’organisation de mon planning ou les réservations de vol et d’hôtel. Aujourd’hui, ils n’ont plus qu’à dire : Nico, Koweit, 2 août, me donner l’adresse et le job sera fait ! »
Plus qu’une bonne étoile
« Il y a des choses qui t’arrivent dans la vie à des moments précis qui te font croire que tu as de la chance. Et quand cela se reproduit plusieurs fois, tu te dis qu’il doit y avoir plus qu’une simple bonne étoile. Comme si tu étais connecté à un réseau, une sorte de network au-dessus de la tête. Tu es comme une rame avec une caténaire. Et quand elle se connecte, il se passe des choses magiques. C’est par exemple le cas avec Dior. Je devais photographier leur flagship de New York, un bâtiment gigantesque, 550 m2 sur plusieurs étages. La seule possibilité de prendre la façade dans son ensemble était d’accéder à la tour située en face, ce qui était impossible, car depuis le 11-Septembre, il était interdit aux personnes extérieures d’entrer dans les immeubles que ce soit de bureau ou d’habitation. Sauf qu’une après-midi où je me promenais sur Time Square, une personne m’aborde pour me demander de la prendre en photo avec un ami. Nous avons fait connaissance et il s’avère qu’elle travaillait justement dans l’immeuble en face de la boutique ! Grâce à elle, j’ai pu entrer et faire une photo magnifique ! »
Les gens pour seul intérêt
« En presque cinq ans, j’ai dû visiter plus de 35 pays. Mais la seule chose qui m’intéresse vraiment, ce sont les gens et les rencontres magiques que je peux faire. Ça peut être une discussion passionnante à Dubaï avec un chauffeur de taxi qui va te raconter ses parties de chasse à l’aigle dans les plaines verdoyantes de son Pakistan natal. Un agent de sécurité au Kazakhstan qui veut te faire visiter l’église dans laquelle il a été baptisé. Ou encore une femme de ménage à Londres avec qui tu éclates de rire car elle vient de te manger ta tablette de chocolat, pensant que tu l’avais oubliée. Une fois que mon temps sera fini, j’ai la croyance que j’emporterai ces instants précieux qui ont nourri mon âme. »
Au contact de la vie
« Notre monde va à une vitesse exponentielle. Il va plus vite que l’être humain n’est capable de le gérer. Mon métier m’oblige à vivre à 300 à l’heure, c’est pour ça que j’ai besoin de revenir dans quelque chose de très lent et silencieux. Un jour à Taïwan, un pays qui vit 24 h sur 24, j’ai été tellement submergé d’informations, de sensations, de sentiments, de réflexions que je me suis isolé dans ma chambre d‘hôtel, rideaux fermés, téléphone, ordinateur et télévision coupés. Il y a un moment où tu as besoin de revenir vers toi sinon le monde est un tourbillon qui t’entraîne. C’est pour cette raison que je n’ai pas d’Internet sur mon téléphone. On me traite de has been. Peut-être. Mais je préfère rester disponible pour les autres. Je suis au contact de la vie et quand elle vient te chercher, si tu as le nez plongé dans tes e-mails, quel sens donnes-tu à ton existence ? »
Par Alexandre Benoist