juillet 2015

Erick Ifergan

  • Des mondes en parallèle
 
 IFERGAN 04
 L'imagination d'Erick Ifergan le conduit vers la photo, la vidéo mais aussi la peinture, la sculpture, la céramique.
© Jean-Michel Sordello

Artiste à l’œuvre protéiforme, invitant à voyager dans l’âme humaine comme dans des rêves surréalistes, Erick Ifergan est cet été au cœur d’expositions à Cannes, Vallauris et Antibes.

 

Dans sa maison-atelier à Grasse, les lignes noires organiques filent le long de murs anciens, de portes ou de volées d’escaliers jusqu’à s’épanouir dans une myriade de morceaux de céramique. Au sein de cette bâtisse pavée de carreaux de ciment d’époque, un piano
trône dans son coin tandis qu’un serpent sculpté se métamorphose en trompette. S’il rêve d’avoir un jour une maison d’artiste comme le musée Fernand Léger à Biot, Erick Ifergan a investi cette demeure à son image. Éclectique, inclassable, elle ouvre dans la réalité une fenêtre sur d’autres univers. Et c’est peut-être cette liberté assumée que ce créateur prolifique, qui a vécu près de 20 ans à Los Angeles, a gardée de sa période passée
aux États-Unis. La force de son inspiration ne se limite pas à un seul support, elle s’exprime tour à tour dans la photographie, le cinéma, le dessin, la peinture, la sculpture et même la musique.

 

Dans les nuages avec Magritte
Le parcours d’Erick Ifergan est plutôt atypique. Né au Maroc en 1958, il a commencé sa carrière en tant que photographe, ce qui l’a conduit à l’image en mouvement. La vidéo du titre « Quand j’serai K.O. » d’Alain Souchon, c’était lui. Avec son style surréaliste chargé d’émotions, il réalisera des clips pour Jean-Jacques Goldman, Julien Clerc, Patricia Kaas et des stars internationales comme Rod Stewart, de même que des campagnes publicitaires pour Apple, IBM, Dior ou encore Audi, avec sa société de production Serial Dreamer. Puis un jour, il décide de mettre aussi sa créativité au service de ses propres idées. Il explique : « Emir Kusturica est également musicien, David Lynch fait de la peinture, sans oublier Julian Schnabel qui a décoré le Gramercy Park Hotel à New York. Il y a chez ce dernier cette nécessité de s’exprimer à travers différents médias, c’est une tendance de la scène internationale underground. Le métier de cinéaste vous conduit par définition à travailler avec beaucoup d’artistes. »

 

Les oubliés du rêve américain
Son film Johnny 316, réalisé sur Hollywood Boulevard, est présenté cet été à l’Espace Miramar. Sur ce trottoir aux étoiles, où les églises ne sont pas loin des sex-shops, il met en scène son acteur fétiche Vincent Gallo. Lorsque ce prêcheur de rue psalmodiant en boucle rencontre une jeune femme sans emploi, c’est le début d’une histoire d’amour tragique. Passionné par la dimension mentale invisible des individus, Erick Ifergan a aussi immortalisé dans les nuits de Los Angeles une série de portraits baptisée Hope. Ce clown maquillé dans la rue, cette femme endormie à l’arrêt de bus, ne sont jamais pris sur le vif. Sous un éclairage au néon, qui met en exergue les tons verts et rouges, ils nous parlent en filigrane de leur histoire dans l’histoire. Mises bout à bout, ces photos ont inspiré à Ifergan le scénario d’un long-métrage, qu’il prépare actuellement : « Ils ne sont pas dans la meilleure partie de leur vie mais ils restent dans une transition optimiste. L’espoir naît dans les choses les plus austères. »

 

Quand Alice passe par la porte
S’il considère Jean Cocteau comme un père spirituel, Erick Ifergan classe aussi les dessins animés de Walt Disney parmi ses influences clés : « Il avait compris que pour créer du merveilleux, il faut d’abord passer par une phase d’incertitude, sinon on est dans une publicité où tous les gens sourient. Comme dans la métaphore de Blanche Neige, qui après une nuit entourée d’arbres terrifiants se réveille au matin dans une clairière peuplée d’oiseaux. Avec Alice au pays des merveilles, on pourrait aussi faire 30 clips ! » Et c’est à la galerie Sassi Milici de Vallauris, qui abrite un four à bois dans lequel Picasso et Braque cuisaient leurs productions, que ce plasticien réalise et présente également ses derniers travaux. Dans son univers figuratif qui tend vers l’abstraction, on croise tantôt un roi fainéant en forme de pot à anses couronné, tantôt un rhinocéros émaillé rouge à corne étrange. L’artiste, qui a peint notamment une collection d’assiettes pour la Grande Maison de Joël Robuchon à Bordeaux, invente même des lampes sculptées dans le domaine des arts décoratifs. Dans un ouvrage haut comme un grimoire, dit Le plus grand livre du monde, il inscrit des poèmes autour de photos peintes. Pour Erick Ifergan, l’art est une sorte d’écriture automatique, guidée par un flot continu d’inspiration : « Une œuvre parfaite pour moi, c’est une série d’imperfections que je m’empêche d’effacer. Chaque erreur m’emmène à une nouvelle découverte, comme dans un chemin de vie. »

 

Par Tanja Stojanov