Monet en pleine lumière
« Ce qui comptait pour Monet, c’était de peindre sur l’instant. »
Le Grimaldi Forum Monaco consacre sa grande exposition d’été à Claude Monet, sous le commissariat de Marianne Mathieu. Rencontre autour des toiles peintes par l’artiste dans le Midi.
par Tanja Stojanov
Nymphéas avec reflets de hautes herbes, 1897. Huile sur toile,130 x 200 cm. Collection Nahmad. © Collection Nahmad
Les Villas à Bordighera, 1984 Huile sur toile 116,5 x 136,5 cm | Paris, Musée d’Orsay Photo. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
D’où proviennent les peintures présentées dans cette exposition ?
Pour un tel projet, il a fallu réunir des œuvres à l’international et nous montrons un planisphère de la géographie des prêteurs à l’entrée. Cette carte témoigne de l’histoire des impressionnistes et de leurs premiers collectionneurs. À l’exception d’une poignée d’acheteurs français, ces peintres ont commencé à vivre de leur art grâce à des amateurs américains qui s’y sont intéressés à partir des années 1880-1890. C’est donc une géographie franco-américaine, qui s’est ensuite internationalisée. Nous avons réuni ici une centaine d’œuvres dont vingt-deux tableaux peints sur la Riviera et présentés ensemble pour la première fois. Des toiles venues d’Angleterre, d’Allemagne, d’Espagne, de Monaco et du Musée Marmottan-Monet pour l’œuvre ultime.
Parlez-nous de la venue de Monet à Monaco…
Il arrive en décembre 1883, sachant qu’il a posé aussi cette année-là ses valises à Giverny. À cette époque, c’est un artiste reconnu dans le petit monde de l’art, qui peint sur le motif avec des couleurs claires des œuvres considérées comme imparfaites, inachevées, impressionnistes, terme qui était alors péjoratif. Il n’a eu qu’une seule exposition personnelle en 1880 et c’est un artiste qui a cruellement besoin d’argent. Son marchand, Paul Durand-Ruel, lui suggère alors de faire des choses neuves et de varier les motifs. Sous l’influence de Renoir, l’un de ses grands amis, il va ainsi faire un tour de la côte, de Gênes à Marseille, avec des allers-retours à Paris. Il peindra deux magnifiques vues de la Principauté et la Tête de chien, puis s’installera à Bordighera car il trouvait qu’il y avait trop de monde à Monaco. En trois mois, il produira plus de toiles qu’en une année auparavant. Il comprendra qu’il peut revenir dans son jardin pour finir ses tableaux. Dès lors, il partira chaque année seul en campagne.
Vous semblez dire que ces séjours ont aussi changé sa façon de peindre. En quoi ?
Oui. Monet va revenir à Antibes en 1888 et il va se produire quelque chose de déterminant dans son modus operandi. Traditionnellement, on peignait deux effets par sujet, comme pour la Tête de chien. Sur la strada Romana à Bordighera, Monet se déplace avec tout son barda, aidé par un porteur. L’idée était de peindre au bon moment, pour capter la bonne lumière. Mais à force de courir, il se dit à un moment qu’il y a plus de deux effets à peindre ! Il fait alors trois vues du château Grimaldi à Antibes, de façon non préméditée, et quand il rentre à Giverny, c’est désormais un acquis. À 48 ans, après avoir passé des années à chasser la lumière, il décide de ne plus bouger, de travailler la répétition. Il fera des séries comme les Creuses, les Meules, les Cathédrales. Avec les Nymphéas, ce sera une nouvelle étape. Il restera dans son jardin et changera de point de vue : il baissera la tête pour peindre le spectacle de la nature via des fragments de miroir d’eau. Avec les Nymphéas, ce sera une nouvelle étape. Il restera dans son jardin et changera de point de vue : il peint, tête baissée, le spectacle de la nature via des fragments de miroir d’eau.
Comment votre projet amène-t-il le visiteur à ressentir l’œuvre de Monet ?
On entre dans cette exposition immersive avec le bruit des éléments. Ils conduisent vers une première salle avec quatre chefs-d’œuvre, représentant La Cabane de douaniers et Le Pont d’Argenteuil. Des toiles peintes chacune deux fois, à plusieurs années d’intervalle, et l’on comprend que plutôt que s’attacher à un motif, Monet peignait l’instant. Dans la troisième salle, un dispositif de médiation permet de découvrir ses correspondances et les endroits qu’il a visités. Cette exposition n’est pas une rétrospective mais une exposition monographique avec un accompagnement visuel et sensoriel, et nous nous sommes focalisés sur la proto-campagne et la proto-série initiées sur la Riviera. L’avant-dernière salle, à laquelle je tiens beaucoup, confronte le public à deux magnifiques Nymphéas entourées de photos d’époque. Si Monet peint ce monde d’harmonie, ce n’est pas parce qu’il est un vieillard qui ne veut plus quitter son jardin, c’est une réaction politique à la Seconde Guerre mondiale.
« Monet en pleine lumière », jusqu’au 3 septembre