Expositions
Lutter contre l’invisibilisation des femmes
S’il est un changement salutaire récent, c’est la plus juste place accordée aux artistes femmes, même si l’égalité réelle est encore loin. Un combat dans lequel les galeries ont un rôle de terrain majeur.

Simone Simon, Zoé-2019, photographies extraites du livre NU et de l’exposition CORPS / VOIX Territoires de l’intime.

Natacha Lesueur, Fée tachée, 2020, 43 x 63 cm, photographie de la série Les Humeurs des Fées.

Roni Horn, d’après le film Persona d’Ingmar Bergman.

Caroline Rivalan, n° 8382 [La leçon], 2022. Installation, transfert en surimpression sur mur, 260 x 164 cm.
Êtes-vous en mesure de citer cinq femmes artistes ? Face à cette question a priori banale, le malaise s’installe immédiatement, tant ce sont des noms d’hommes qui viennent d’abord à l’esprit. Si le genre, qu’il soit masculin, féminin et même non-binaire, n’a strictement rien à voir avec le talent, les femmes ont longtemps été effacées de l’histoire de l’art. Après avoir été interdites d’études artistiques, cantonnées à des genres dits mineurs, réduites au rôle de muse ou placées dans l’ombre de leur mari, rares sont celles qui ont pu émerger et c’est avec un sacré sentiment d’injustice que l’on redécouvre tous ces parcours dans des ouvrages comme Féminin en art majeur de l’autrice azuréenne Laurence Dionigi. Un livre paru en 2016 et dont la quatrième de couverture était signée par Eva Vautier. « Il est frappant de constater à quel point les femmes ont dû se battre sinon pour peindre, au moins pour se faire reconnaître en tant qu’artiste peintre et ce depuis toujours », témoignait la galeriste, mettant en garde contre une possible régression, toujours possible malgré ce qui a été acquis. « Il n’est pas question de présenter des femmes plus que des hommes, ou inversement, mais simplement de donner à voir des œuvres choisies pour leur qualité », explique-t-on sur place. De sorte que dans les faits, la galerie, qui a ouvert ses portes en 2013, se démarque véritablement par la parité qui existe entre les artistes qu’elle représente. Ici, sont exposées des artistes comme Simone Simon, qui parle dans son ouvrage Le Vent se lève du rapport heurté que l’on peut entretenir avec son corps, ou encore Natacha Lesueur et ses Humeurs de Fées. Dans cette série, une mariée aux dessous-de-bras poilus arbore un voile en partie brûlé, comme un pied de nez aux images idéalisées de mariage, tandis qu’une autre en nuisette porte sur la tête une bougie aux allures de fusée, en mode gâteau d’anniversaire. Des artistes diplômées de la Villa Arson qui s’attachent à déconstruire les clichés et stéréotypes, comme aujourd’hui Caroline Rivalan, qui a présenté récemment le fruit de ses recherches sur la théâtralisation des patientes du professeur Charcot et les expériences imposées à celles qui étaient jugées « hystériques ». Par leur choix et le travail de fond qu’elles mènent pour valoriser l’œuvre de leurs artistes, les galeries ont ainsi un rôle de premier plan à jouer pour faire changer les mentalités, à l’échelle locale comme internationale.
Parmi les poids lourds du marché de l’art contemporain, c’est également la Galerie Hauser & Wirth qui a inauguré son nouvel espace à Monaco en 2021 avec une exposition consacrée à Louise Bourgeois, artiste dont la reconnaissance fut en réalité très tardive. Il faut savoir que la galerie a été fondée en 1992 à Zurich par Iwan Wirth et Ursula Hauser, qui a commencé dès les années 1980 à se constituer une vaste collection d’art moderne et contemporain comprenant beaucoup d’artistes femmes. A l’image d’Eva Hesse, Lee Lozano ou Alina Szapocznikow, qui ont eu des carrières très courtes et sont tombées dans l’oubli et dont la galerie a contribué aussi à la reconnaissance. A travers des « estates » – successions d’artistes – et le choix de jeunes recrues, la galerie continue de mettre en avant des talents féminins. Dans cette nouvelle antenne à Monte-Carlo, elle a présenté une multitude d’expositions comme celle de Rita Ackermann et sa série Mama, ouvrant un dialogue avec sa mère restée dans son pays natal, ou celle baptisée Bodily Abstractions/Fragmented Anatomies sous le commissariat de Tanya Barson. Des accrochages qui illustrent la diversité des productions, et s’inscrivent dans un combat plus global et inclusif contre tous les a priori de genre, comme en témoigne l’exposition récente dédiée à l’Américaine Roni Horn, qui documente sa propre androgynie à travers la photo.
Par Tanja Stojanov