Art contemporain
Fils de béton, lignes de métal
Des accessoires de loisir aux ingrédients de cuisine, de nombreux artistes ont fait des objets et matériaux de notre quotidien le point de départ de leur œuvre. Focus sur deux artistes niçois.
Par Tanja Stojanov
Portrait de l’artiste, dont les créatures en béton filaire appellent au toucher.© Frédéric Pasquini
Détail de La Mémoire de l’eau.
Marie Larroque-Daran
Comme une dentelle d’agar agar
Elle a cette intelligence des matériaux qui la pousse à chercher toujours de nouvelles techniques. Et c’est ainsi qu’à l’épreuve du faire, qu’à force de questionnements et d’expérimentations empiriques, Marie Larroque-Daran dégage des savoir-faire singuliers qui font ensuite toute l’originalité de son travail. La plasticienne d’origine toulousaine, vivant et travaillant à Nice, sculpte ainsi le vide avec des fils de laine plongés dans des bains de béton colorés. Un processus de dripping en 3D, de tissage brut où son corps se retrouve engagé dans une danse qu’elle donne parfois à voir en vidéo. Une technique qui aurait pu la conduire à l’antiforme dans la lignée d’Eva Hesse, à ne plus revendiquer aucune forme déterminée. Or c’est tout le contraire qui se produit dans son œuvre et c’est de la construction et des accidents, affaissements et chutes de béton, que naissent tantôt des figures humaines, tantôt d’extraordinaires créatures comme l’Alphame qu’elle avait suspendue au 109 à Nice pour l’exposition « Aux frontières du vivant » en 2020. Un clin d’œil à l’alpha bien sûr, cette première lettre de l’alphabet grec et à la femme aussi, qui comme toutes les créations de Marie Larroque-Daran joue sur l’ambiguïté des mots, les répertoires de sens mais aussi de non-sens, et où l’humour a ce rôle libérateur. L’artiste présente ainsi cet été sa Piéta en béton filaire au Château-musée de Cagnes-sur-Mer, dans une exposition collective sous le commissariat de Simone Dibo-Cohen, avant de déployer au Museum d’histoire naturelle de Nice son solo-show à partir du 16 septembre. Là, elle explorera l’univers des céphalopodes dans un medium tout à fait étonnant : agar-agar. Un travail coloré d’opacités et de transparences, qui renvoie à la peau et à l’aspect viscéralement organique de l’œuvre de cette plasticienne. Et si l’art se dissolvait dans l’eau, quelle trace en garderait-elle en mémoire ?
Grâce à des lignes élancées, l’artiste invite à s’interroger sur l’espace de chaque sculpture.© François Fernandez
Martin Caminiti
Des vélos du sol au plafond
Les roues d’une bicyclette, le corps d’une canne à pêche, le cadre d’une raquette et la selle d’une moto… Comme dans un inventaire à la Prévert, Martin Caminiti organise d’interpellantes rencontres du quotidien. Celles d’objets en lien avec le sport ou le déplacement, qu’il désosse pour en assembler les pièces les plus graphiques dans d’élégantes sculptures abstraites. Un peu comme lorsqu’il découpe ses images en noir et blanc sur rhodoïd et qu’il les colle ensuite dans d’étonnantes configurations qui en font émerger les pleins et les vides. D’abord formé à la menuiserie, puis diplômé de la Villa Arson à l’époque de Christian Bernard, l’artiste se considère davantage comme un dessinateur que comme un sculpteur. Les volumes qui peuplent son atelier à Nice peuvent faire penser à des insectes ailés tout comme aux machines dessinées par Leonard de Vinci. Leurs fils élancés sont pour lui comme les lignes d’une esquisse. Lorsqu’on regarde ici au sol, ce sont d’anciens luminaires qui ont retrouvé une seconde vie, tandis qu’au plafond, des cannes à pêche ont servi de matériaux de base pour créer la série « Tête en l’air et sans mobile apparent ». Après la roue posée par Marcel Duchamp sur un tabouret en 1913, ces sculptures viennent ainsi interroger notre façon de regarder, en révélant la portée esthétique de l’utile. Et au-delà de toute tentative d’identification, leur façon de se déployer pose clairement la question de l’espace qui entoure et compose la sculpture. Les titres des œuvres de Martin Caminiti donnent aussi des clés d’interprétation poétiques et humoristiques au regardeur. Tantôt, il réalise une « Machine à regarder les cons » avec des spéculums de gynécologue, jouant sur le féminin / masculin, tantôt une « Machine à fabriquer le vent » présentée à la Villa Datris pour l’exposition « Re-cyclage/Sur-cyclage ». Des sculptures qui sont comme des arrêts sur image photographiques, et qui prennent évidemment aujourd’hui une portée nouvelle, en cette période de décélération et d’upcycling.