Au cœur des vignes
Trois hommes se racontent
Par Valérie Rouger
Ils se sont levés avant le soleil, ont conduit les vendanges avant le temps de cette rencontre. Leur énergie est intacte, leur enthousiasme visible. Ils sont heureux de partager leur passion commune, le bon vin.
Olivier Rolland, Lawrence Slaughter et Pierre Einaudi, la rencontre. © Frédéric Stephan
© Frédéric Stephan Ils tiennent entre leurs mains une cuvée qui leur est chère, leur signature, le vin qui leur ressemble. Lawrence tient entre ses mains le blanc « Château de Mille ». Majorité de vieilles vignes (plantées en 1952) Ugni Blanc, Clairette et Rolle. Complexe, élégant et rond. Pierre présente le rosé de Bargemone, dans son flacon atypique et iconique, qui marie Grenache, Syrah, Cabernet Sauvignon et Viognier. Tenue, longueur en bouche, fraîcheur. « La Chapelle » en blanc pour Olivier. Assemblage de Grenache, Roussanne et Rolle. Sa première création. Un vin fruité, gourmand et structuré.
Trois hommes, trois vignobles, trois terroirs. Olivier Rolland du Mas Sainte-Berthe (AOP Les Baux-de-Provence) et Lawrence Slaughter (AOP Luberon) rejoignent Pierre Einaudi dans la nouvelle cave, symbole de la renaissance du vignoble du domaine Bargemone (AOP Coteaux d’Aix-en-Provence). Les présentations faites, ils s’échappent immédiatement vers la salle d’élevage et dissertent entre les cuves inox. La complicité innée de ces amoureux de la vigne est visible. Une passion qui les a fait changer de vie, un même choix de prendre une nouvelle route, cette raison qui crée cette rencontre. Il nous faut les rattraper, le photographe et notre micro les attendent.
Leurs rêves de gamins de conduire un tracteur ! Tous l’évoquent en riant. Pierre avoue même un léger incident de portière pour son premier pilotage… Olivier a quitté le monde très urbain de la finance parisienne, Lawrence a traversé l’Atlantique laissant derrière lui la banque et Pierre a abandonné les planches et les troupes de théâtre. « Ne plus faire l’acteur pour un tracteur, ça rime ! » s’amuse-t-il.
Olivier avait l’envie depuis l’âge de 15 ans de travailler sur le vignoble planté par son grand-père. « Lorsque j’ai eu 28 ans, ma grand-mère souhaita me voir reprendre le domaine. Je ne me sentais pas prêt, je voulais me forger une expérience, me construire différemment, mûrir. 20 ans plus tard, j’ai quitté une fonction que j’adorais pour cette passion, la vigne, la terre et les nombreux projets qui s’y raccordent ». Il est celui qui, par sa volonté de passer le Mas Sainte-Berthe en agriculture biologique, a permis à l’appellation des Baux-de-Provence de devenir la première AOP 100 % bio de France.
Lawrence partage avec son épouse Constance le désir profond de racheter un vignoble depuis plus de 15 ans. Une de ses grandes satisfactions est d’être devenu totalement maître de ses actions. « Je suis le patron ! », ajoute-t-il en riant « Nous avons dû tout reconstruire au Château de Mille, mais nous décidons et cela change tout. Nos choix, notre vision, nos risques, nos résultats. » Sur le plus vieux domaine viticole de la région, Lawrence est accompli. « Constance était prévenue depuis notre mariage que je serai fermier un jour ! »
Pierre est le junior de la rencontre. A 29 ans il quitte le théâtre pour la vigne, rejoignant Bargemone, un domaine que sa famille a acquis en 2019 et dont les ambitions sont multiples. « Je trouve beaucoup de points communs entre le milieu artistique et le vin. Le plaisir que l’on donne, que l’on prend. La mise en scène se retrouve dans l’assemblage, l’étiquette, la réception au caveau… »
Se mettre au service de plus grand que soi, la nature, est aussi une réflexion qui les unit. Tous les trois ressentent cette notion de n’être là que pour l’honorer, la conserver intacte et travaillent en agriculture biologique. Il leur a fallu apprendre, avec humilité. Quelle satisfaction de poser leur signature sur les nouveaux millésimes, d’accueillir les compliments à chaque dégustation. Olivier dit être devenu chef d’orchestre et motivé. Lawrence se reconnaît inspiré et énergisé. Entreprenant, curieux et rassembleur sont les mots de Pierre. Et d’ajouter de concert « Heureux ! »