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PORTRAITS

Ils sont artiste, cheffe étoilée, designer ou apiculteur, pilote automobile ou créatrice de mode. Leur point commun ? Ces personnalités glamour ou au cœur de la vie culturelle, économique et sociale régionale sont les moteurs de l’actualité azuréenne. Découvrez sans filtre le témoignage de leur parcours, leurs rêves, leurs ambitions et leurs projets à venir.

octobre 2017

Garouste

  • La matière et l’esprit

 

 

 
 08 GAROUSTE Cerf 2 chiens copieportrait Gerard GAROUSTE

 portrait Gerard GAROUSTE pt

Il se bat avec des pinceaux, dresse des ponts entre les époques et nos mythes fondateurs. L’un des plus grands peintres contemporains français expose dans trois lieux*, à Paris.

En 2009, Gérard Garouste se racontait, sans ambages, à travers la plume de Judith Perrignon dans un livre bouleversant, L’Intranquille (1), dont la force et l’intérêt exceptionnels émanaient de ce que l’artiste (né en 1946) révélait – sans pathos ni masochisme – de son histoire personnelle dramatique à bien des égards : un père violent et antisémite, condamné pour spoliation de biens juifs pendant la guerre, ses rencontres salvatrices avec le judaïsme, le dessin, la peinture, les livres, son épouse Elisabeth, et les vertiges de la folie avec lesquels il compose depuis qu’il a été diagnostiqué bipolaire au début des années 70. Vingt ans après la parution de cet ouvrage cathartique et au fait d’une carrière flamboyante, le peintre, toujours fasciné par les mythes et les textes fondateurs, revient sur le devant de la scène avec une nouvelle série d’œuvres réunies sous le titre générique Zeugma, avec comme point de départ une commande passée en 2014 par le musée de la Chasse et de la Nature. Atmosphère dramatique, lyrisme exacerbé, imagination débordante, couleurs somptueuses, l’artiste revisite la légende de Diane et Actéon. Aux Beaux-Arts, il y est question de Dante et de Rabelais et à la galerie Daniel Templon, du Talmud.

 

Secret de famille
Cela m’évoque d’emblée le livre que j’ai cosigné avec Judith Perrignon (1). L’éditrice désirait un autoportrait, et moi, le besoin de faire le ménage devant ma porte, par acquit de conscience, mais aussi par devoir vis-à-vis de ceux qui regardent mes tableaux. Ma famille aurait pu être exemplaire, ce ne fut pas le cas malheureusement. Mon père s’est très mal comporté pendant la guerre et je ne pouvais pas le passer sous silence, quitte à choquer mes enfants qui ont, ainsi, appris ses agissements. Mais c’est la réalité, c’est ma vie. La leur aussi, indirectement. Dire la vérité me paraissait la moindre des choses. Vivre avec ce secret aurait fait de ma vie un cauchemar permanent.

 

Dieu
Une source d’erreurs parce que le mot est déjà idolâtre. Oublions-le tout de suite. La Torah, qui n’est pas un livre de preuves mais de questions, n’a qu’un seul but en soi : comprendre l’homme. Très loin de la conception chrétienne qui a choisi de donner un nom à Dieu, les Juifs ont tout axé sur un seul mot, un jeu de quatre lettres – « YHWH » – qui ne veut rien dire, qui évoque le temps, l’étude des rapports entre les hommes. Ce qui importe, ce n’est pas la solution, car on ne la trouvera jamais, mais c’est le raisonnement.

 

Folie
Elle n’est souhaitable à personne, bien sûr, mais la vivre demeure, dans une certaine mesure, une belle expérience. J’ai séjourné à plusieurs reprises dans des hôpitaux psychiatriques après des crises de démence. La médecine aidant et suivi par un excellent psychiatre, devenu un ami depuis [rires], je peux affirmer que de cette épreuve, énorme, extraordinaire, j’en suis ressorti différent, enrichi, comme initié à certains mystères. J’ai vu des miracles que seuls les fous sont capables de discerner.

 

Peinture
Elle m’a sauvé la vie. Enfant, j’étais très mal dans ma peau, nul à l’école. Toutefois, j’épatais la maîtresse et mes camarades en faisant de beaux dessins. Je n’avais aucune confiance en ma tête, mais en mes mains, oui. Une manière de me protéger. Ma première initiation à l’art, je la dois à mon oncle Casso, un excentrique chez qui je passais mes vacances scolaires, en Bourgogne. Sans le savoir, il faisait de l’art brut, comme on dirait aujourd’hui. Maçon, tailleur de pierre, bûcheron et alcoolique, il avait notamment installé un système de poulies et de contrepoids pour suspendre ses objets domestiques, à la manière d’un Tinguely. Il a beaucoup compté à mes yeux.

 

Judaïsme
D’avoir un père antisémite m’a fait poser des questions très tôt sur ce sujet. Soit je cautionnais et adoptais sa « théorie », soit je décidais de me faire ma propre opinion. Comme par hasard – ou pas – dans la pension très chic où il avait eu la bonne idée de me laisser aller, je suis devenu très vite ami avec des garçons juifs. Puis, je suis tombé amoureux d’Elisabeth, dont la culture était si différente de la filiation catholique dont j’étais issue. La curiosité s’est, au fil du temps, muée en passion.

 

Monde moderne
Je ne m’y sens pas spécialement bien, sans regretter une autre époque ni pré-estimer d’un avenir meilleur. Aujourd’hui, je déplore cependant l’immense confusion faite autour du religieux, connoté d’emblée dans la tête des gens au fanatisme. Ce qui est tout le contraire. Le terme « religion » vient du latin religare, qui veut dire « créer du lien avec l’autre ».

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