C’est une légende qui succède à Steven Spielberg à la tête du jury de la 67e édition du festival de Cannes, qui se déroulera du 14 au 25 mai. Jane Campion, une femme qui aime raconter des histoires de femmes.
C’est un fait, pas un jugement, mais il faut bien relever la faible présence de réalisatrices sur la Croisette. L’an passé, seule Valeria Bruni Tedeschi était en lice pour la Palme d’or. Le sujet donne lieu à de régulières polémiques comme cette tribune du collectif La Barbe publiée dans Le Monde, en mai 2012, titrant « À Cannes, les femmes montrent leurs bobines, les hommes leurs films ». Le délégué artistique du festival, quant à lui, refuse toute discrimination positive : « Nous ne serons jamais d’accord pour sélectionner un film qui ne le mérite pas simplement parce qu’il est réalisé par une femme. » Le nœud du problème se situerait ailleurs selon Thierry Frémeaux : « Dans le cinéma, nul doute que la place faite aux femmes doit être augmentée. Mais ce n’est pas à Cannes et au mois de mai qu’il faut poser le problème, c’est toute l’année et partout. » Toutefois, ces dames se font également rares dans le fauteuil présidentiel… Sur les 66 élus, 10 étaient des femmes. La première « Ève » dut en effet patienter 18 ans avant d’atteindre le saint Graal ! La couronne revint à Olivia de Haviland, suivie l’année d’après – en 1966 – par Sophia Loren, Michèle Morgan en 1971, puis Ingrid Bergman, Jeanne Moreau et Françoise Sagan. S’ensuit une très longue traversée du désert : de 1980 à 1994 pas l’ombre d’une présence féminine dans les hautes sphères ! Puis, c’est le come-back de Jeanne Moreau en 1995, suivie d’Isabelle Adjani, Liv Ullmann et Isabelle Huppert en 2009. Jane Campion porte le dossard numéro 10.
REINE DES MANIFESTATIONS
Jane Campion s’est dite « impatiente » d’accéder aux plus hautes fonctions du Festival de Cannes. Nous aussi. La seule réalisatrice à avoir obtenu la Palme d’or – et la seule personnalité à détenir à la fois la Palme d’or du long et du court-métrage – est liée à « la reine des manifestations » comme peu d’artistes. « Je suis venue à Cannes pour la première fois en 1986, et depuis, mon admiration n’a fait que grandir, déclarait-elle lors de l’annonce de sa nomination. Le glamour et le professionnel s’y marient de façon unique. C’est le pays des stars, des fêtes, des plages et du business, mais on ne perd jamais de vue ce qu’est le festival : une célébration du cinéma comme Art et une célébration du cinéma du monde entier. » Si Jane Campion a été choisie comme 67e présidente, « c’est pour son talent et ce qu’elle a fait », renchérit Thierry Frémeaux, qui n’hésite pas à placer la cinéaste « à la même hauteur qu’une Doris Lessing ou une Marguerite Yourcenar », dont les « voix très singulières » marquèrent les époques autant que les consciences. Féministe, militante, pacifiste mais toujours discrète, Lady Jane, comme la surnomme Gilles Jacob – dont c’est le dernier festival en tant que président – poursuit une œuvre originale (7 films de cinéma), traversée de personnages féminins en révolte contre des sociétés machistes et formatées. Les « femmes » de Jane sont toujours intenses et passionnées. On se souvient avec émotion de Janet Frame, dont Jane Campion racontait, dans Un ange à ma table (1990), le parcours difficile d’écrivain schizophrène dans la Nouvelle-Zélande des années 60-70, ou bien dans son dernier long-métrage, le bouleversant Bright Star, les amours impossibles du poète Keats et de sa muse Fanny Brawne, romancées dans une ode à l’amour à faire chavirer tous les cœurs sensibles.