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PORTRAITS

Ils sont artiste, cheffe étoilée, designer ou apiculteur, pilote automobile ou créatrice de mode. Leur point commun ? Ces personnalités glamour ou au cœur de la vie culturelle, économique et sociale régionale sont les moteurs de l’actualité azuréenne. Découvrez sans filtre le témoignage de leur parcours, leurs rêves, leurs ambitions et leurs projets à venir.

août 2015

Aurélie Dupont

  • Une étoile filante

 

 DUPONTAurelie

Le 18 mai, elle tirait sa révérence à l’issue d’une représentation bouleversante de L’Histoire de Manon au Palais Garnier. Comment quitter le firmament après y avoir brillé tant d’années ? Rencontre avec l’ex-danseuse étoile, à l’aube d’une nouvelle vie.

 

Ce n’est qu’un au revoir
« Après avoir passé trente-deux ans à l’Opéra de Paris, je me disais que c’était le bon moment pour moi d’aller voir ailleurs, de prendre l’air. C’est alors que Benjamin Millepied (le directeur de la danse, N.D.L.R.) m’a demandé de devenir maître de ballet. Certes, ce n’était pas mon rêve mais j’ai accepté parce que c’est Benjamin qui me l’a proposé. C’est un danseur talentueux, un chorégraphe hors pair ; j’aime ses idées, j’aime l’énergie qu’il dégage en studio ou sur scène. Il veut que cette maison bouge et j’ai envie d’y contribuer. »

 

Un maître de ballet, c’est quoi ?
« Je ne passerai pas le balai dans les studios, je vous rassure ! [rires] Mon job consistera à guider les jeunes générations, les solistes principalement, tout en ayant un œil sur le corps de ballet pour assurer la cohésion des spectacles. Je leur apprendrai la chorégraphie si ce n’est déjà fait. Il sera aussi question d’endurance, de technique, mais aussi d’investissement, de curiosité. Je ne veux pas les materner mais les responsabiliser, leur apprendre à réfléchir, tout ce dont j’ai manqué personnellement à mes débuts... À trop se focaliser sur certains points, comme une technique parfaite, on peut oublier le plaisir et le bonheur qu’un danseur se doit d’éprouver à chaque représentation. N’oublions pas qu’il s’agit de spectacle avant tout. »

 

Adieu la danse ?
« Ce sont les adieux à l’Opéra Garnier mais pas à la scène ! Je ne vais pas danser jusqu’à un âge avancé, mais à 42 ans, mon envie est toujours bien vivante. La danse est un besoin, une passion. Saburo Teshigawara m’a déjà proposé une création, ainsi que le chorégraphe britannique Wayne McGregor, pour cette rentrée. Mais je ne ressens aucun élan pour la chorégraphie. C’est un tout autre métier, et pas le mien. »

 

Le manque ?
« Cette fin de carrière, j’y songe depuis trois ans, précisément depuis qu’on me demande ce que je vais faire après ! Ce qui va me manquer le plus ? Tout. Ne plus être danseur étoile, c’est comme perdre son identité. Assumer mon titre au sein de la compagnie m’avait pris tellement de temps, et puis voilà, c’est déjà fini (sourire)... Ces dix-sept années sont passées tellement vite, j’ai tout aimé, tout accepté, même devoir réinventer ma danse à cause de mon genou – six mois après sa nomination d’étoile, une douleur aiguë au genou droit survient, on lui annonce la fin de sa carrière mais Aurélie s’accroche et adaptera sa danse à son handicap, N.D.L.R. – et même les moments de doute qui m’ont permis d’avancer, de progresser. J’ai pensé tous les jours à ce départ, pour ne rien oublier : la scène magique de Garnier, les coulisses, les blagues de mon habilleuse pour me déstresser... »

 

Rencontres au sommet
« Mes plus belles rencontres n’ont pas été celles avec des rôles mais avec des chorégraphes. Spontanément, je pense à Pina Bausch, mais aussi à Angelin Preljocaj, le premier à me proposer des pièces contemporaines, à Mats Ek qui m’a confié un rôle difficile mais tellement enrichissant, à Sasha Waltz qui est devenue une amie proche après m’avoir donné en cadeau le très beau rôle de Juliette (de Roméo), en 2007... Et bien sûr Benjamin Millepied, qui a créé un pas de deux spécialement pour moi. »

 

Pina, le mentor
« Après l’école de danse, où je n’étais pas totalement épanouie, je suis devenue une bête de technique irréprochable. Je croyais me protéger, c’était tout l’inverse. J’avais 20 ans, je gravissais les échelons mais j’avais peur d’être dirigée vers des rôles à performances. J’étais malheureuse, je crois, et surtout remplie de doutes sur la suite de ma carrière. C’est alors que Pina Bausch a débarqué dans ma vie. Après une audition, elle m’annonce qu’elle me choisit “pour mes faiblesses“ alors que je me pensais solide. Ce fut le déclic. Mon rôle dans Le Sacre a tout bouleversé. »

 

La vie ailleurs
« L’idée de donner toute sa vie à la danse et de se retrouver à 42 ans seule à manger des graines dans son appartement décoré de photos de ballet, très peu pour moi ! Hormis la dernière représentation le 18 mai, mes enfants ne m’avaient presque pas vu danser. Cela les embête et moi, ça me rassure beaucoup [rires]. Georges m’avait aperçue lors d’une répétition du Boléro de Béjart à New York, sans me reconnaître vraiment. Quant à Jacques (l’aîné, 7 ans), il était très énervé en voyant mes sœurs me maltraiter dans le Cendrillon de Noureev... Georges à qui j’expliquais un jour que je n’allais plus être bientôt danseuse étoile m’a fait cette suggestion très pertinente : “Mais peut-être, pourrais-tu aller danser au Moulin Rouge, c’est juste à côté de la maison”. Intéressant ! »

 

Par Mireille Sartore

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